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Walter Georges Henri

Louis Arene :
« Le masque est un artifice qui sert à construire un édifice. »

Le metteur en scène et acteur Louis Arene.

Louis Arene revient à la Comédie-Française (qu’il a quittée en 2016 afin de créer la compagnie le Munstrum Théâtre), le temps d’une mise en scène. Son approche du jeu masqué, en constante évolution, est à découvrir dans Le Mariage forcé, de Molière, du 26 mai au 3 juillet 2022. Sur scène, Sylvia Bergé, Christian Hecq, Gaël Kamilindi, Benjamin Lavernhe et Julie Sicard. L’occasion de rééditer une interview que Louis Arene m’avait accordée avant la création de 40° sous zéro, où il fut question de masques et d’influences.

 « Louis, que cela soit dans Le chien, la nuit et le couteau ou dans 40° sous zéro, les acteurs portent un masque qui à la fois épouse et déforme. D’ailleurs, peut-on parler de masque ? 

 — Nous utilisons un masque, mais nous ne faisons pas du théâtre de masque. Lorsque quelqu’un ne connaît pas notre travail et qu’il entend le mot « masque », une image classique du masque, celui de la commedia dell’arte, peut se cristalliser. Le masque tel que nous l’utilisons fait partie d’un ensemble d’artifices —avec le maquillage, les costumes, la lumière, le son— auxquels nous faisons appel pour inventer un univers. C’est un artifice qui sert à construire un édifice. Notre masque n’est pas expressif. Il enlève plus qu’il n’ajoute. Le spectateur ne voit pas l’intégralité du visage de l’acteur, mais comme il s’agit d’une peau très fine, très proche du visage, à une certaine distance la différence entre le visage et le masque s’estompe. Cela crée un trouble, une distance poétique. En cela, notre masque est non seulement un outil esthétique, mais aussi dramaturgique. C’est aussi un espace de projection où le spectateur fait travailler son imaginaire. 

 — Comment s’adapte le jeu à ce masque ? 

 — Cela s’invente lors de la création. Entre Le chien, la nuit et le couteau et les deux Copi qui composent 40° sous zéro, cette invention a été différente, parce que ce sont des écritures qui demandent un engagement physique différent. Cet outil, et j’ai voulu encore plus insister sur cela dans 40° sous zéro, permet de travailler sur des tensions, par exemple entre le comique et le tragique, entre le rire et l’effroi, entre le sacré et le profane, entre la grossièreté et l’élégance. C’est l’une des choses qui me fascinent dans cet objet. 

 — Depuis votre enfance, vous pratiquez le dessin et la peinture. La découverte des peintures de Francis Bacon a été pour vous un choc. Peut-on voir dans votre travail une transposition sur scène de la démarche de Bacon ? 

 — J’ai découvert Bacon quand j’étais adolescent. En effet, cela a été le premier choc esthétique que j’ai ressenti. Je doute d’en avoir eu d’aussi fort depuis. Dans les toiles de Bacon se télescopent la violence et la beauté. La violence de la chair déchirée. Le mystère de ces corps malmenés. On pourrait voir une forme de monstruosité dans les visages déformés que Bacon a peints, mais c’est par ce prisme déformant qu’une autre beauté, indicible, impalpable, se révèle. De ce point de vue, les tableaux de Bacon ont indéniablement inspiré ma réflexion sur la beauté et sur le monstre. 

 — Outre Francis Bacon, quels artistes ou disciplines vous ont influencé ? 

 — Mes influences sont multiples. Le rapport au corps dans le théâtre japonais, dans le Butō ou le Nô, a fait partie des échanges avec les acteurs. En travaillant sur les deux Copi, nous avons aussi parlé du travail sur la déformation du corps proposé par le plasticien et vidéaste Matthew Barney. Les lignes de tension présentes dans les films de David Lynch, entre le comique et le tragique, entre la bouffonnerie et le mystère, m’intéressent. Samuel Beckett est toujours très présent. Pour moi, la pièce de Copi L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer pourrait se jouer exactement dans le même décor que Fin de partie. Et puis, il y a tous les univers apportés par les acteurs et les membres de l’équipe. 

 — De quelle manière se sont rencontrées votre esthétique très marquée et celle de Christian Lacroix, à qui vous avez confié la création des costumes de 40° sous zéro

 — Notre rencontre a eu lieu lorsque j’étais comédien à la Comédie-Française, à l’occasion de Lucrèce Borgia, mis en scène par Denis Podalydès. Je fabriquais des masques pour la pièce, dans laquelle je ne jouais pas. Christian Lacroix en créait les costumes. Il m’a posé des questions sur les masques, et nous avons alors commencé un dialogue sur l’esthétique. J’ai découvert un homme extraordinaire, très stimulant, tout en étant humble et disponible. Quand j’ai décidé de monter les deux pièces de Copi, je désirais aller plus loin qu’avec le Mayenburg. Je voulais que les personnages soient des figures puissantes, des figures totémiques. J’ai alors pensé à Christian en me disant qu’il serait la personne idéale, étant donné sa folie, son côté baroque, son savoir. Nous avons discuté du projet et très vite il a été emballé. Composer avec un budget plus restreint intéressait Christian, qui a l’habitude de travailler avec des moyens plus confortables à la Comédie-Française ou à l’Opéra de Paris. 

 — Quels éléments, d’un point de vue dramaturgique, vous ont amené à rassembler, sous le titre 40° sous zéro, L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer et Les quatre jumelles

 — Ces deux pièces ont en commun le rire, certes noir, et j’avais envie, après Le chien, la nuit et le couteau, de travailler sur cela. Elles font du bien parce qu’elles mettent un coup de pied dans la rationalité, laquelle vide de sa poésie le quotidien et gangrène notre façon de penser et de voir le monde. Ce sont des pièces étranges, des pièces à trou. Il n’y a pas de construction dramaturgique classique. Il n’y a pas de coup de théâtre, ou alors il s’agit d’un faux coup de théâtre. Il n’y a pas de résolution. La catharsis se place à un endroit vraiment inhabituel. Les personnages sont rejetés par la société, ce sont des homosexuels, des drogués, des fous, des transgenres. Ils mènent une guerre effrénée contre le réel, contre les potentats du pouvoir. Ils remettent en cause la violence des riches, la morale. Ce sont des personnages qui se coltinent à la mort. Leur énergie vitale est en elle-même un programme politique. » 

Le Mariage forcé, de Molière, à la Comédie-Française

Du 26 mai au 3 juillet 2022.

Masques et mise en scène : Louis Arene
Dramaturgie : Laurent Muhleisen
Scénographie : Éric Ruf et Louis Arene
Costumes : Colombe Lauriot Prévost
Lumières : François Menou
Son : Jean Thévenin
Masques : Louis Arene
Collaboration artistique : Lionel Lingelser
Assistanat à la scénographie : Auriane Robert de l’académie de la Comédie-Française
Assistanat aux costumes : Caroline Trossevin

Distribution : Sylvia Bergé, Christian Hecq, Gaël Kamilindi, Benjamin Lavernhe, Julie Sicard.

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