Joséphine Brueder :
« L’image a envahi notre environnement. »
Photographe travaillant pour la Ville de Paris et menant en parallèle ses projets artistiques, Joséphine Brueder pose un regard singulier sur la relation que nous entretenons avec notre environnement.
« Joséphine, l’une de vos séries de photographies est intitulée < 1 km. Vous avez photographié, dans un rayon de un km autour de chez vous, la ville dans laquelle vous habitez depuis trois ans, Les Lilas. Est-ce que la situation particulière induite par la série de confinements amène, selon vous, une réflexion quant au manque d’attention que nous portons à notre environnement quotidien ?
— Tout à fait. Je dirais même que cette réflexion concerne mon travail de photographe de manière plus générale. C’est ce que j’essaie de faire passer dans la totalité de mes photographies. J’incite à regarder des images dans lesquelles il y a en fait deux images. Il s’agit d’une invitation à ouvrir les yeux sur ce qui nous entoure.
La série < 1 km est une sorte de clin d’œil aux Lilas, que le confinement m’a donné l’occasion d’effectuer. Entre autres, je me suis intéressée à un château d’eau, ou encore à une tour hertzienne dont l’architecture est typique des années 80. C’était comme découvrir une nouvelle ville tandis que j’y habitais depuis 3 ans.
L’image a envahi notre environnement. Il y a des images partout, autour de nous. Nous nous sommes habitués à ne plus regarder ces images, à passer devant comme si elles n’étaient pas là. Ma série Décors urbains fait également référence à cela. Dans les villes, et notamment à Paris, il est courant que sur les chantiers, pour les cacher, on ait recours à des bâches couvertes de trompe-l’œil ultra réalistes. Nous passons devant ces décors sans faire la différence avec les façades qui étaient là avant, ou celles qui seront là plus tard. Nous ne voyons plus la différence entre le vrai et le faux. Nous ne nous interrogeons plus à propos de ce qu’il y a derrière ces décors. Pourquoi cacher un chantier, alors que c’est un symbole de l’évolution de la ville ?
— Vos séries Medley : Back et Entre les mains, l’une composée de photos où les personnes tournent le dos à l’objectif, l’autre focalisée sur les mains de personnalités politiques lors de discours officiels. Est-ce une manière de vous affranchir du portrait traditionnel ?
— Lorsque je photographie une personne, je m’intéresse particulièrement à ce qu’elle fait, à son comportement, à sa gestuelle. Je m’intéresse aussi à ce que cette personne regarde, comme dans la série Medley : Back. Le regard se porte sur un paysage, une surface. Ne pas photographier les visages est un parti pris. Pour le moment, je n’arrive pas à expliquer exactement pourquoi, en dehors du fait que je trouve plus intéressant de photographier des personnes autrement que par le prisme de leur visage. Je m’intéresse davantage au territoire, à ce qui entoure l’homme, comment il interagit avec son environnement.
Dans la série Entre leurs mains, quand j’ai photographié les mains de personnages politiques, lors de discours, c’était aussi une manière d’étudier la manière avec laquelle ils interagissaient avec leur environnement. On peut y découvrir des attitudes, au moment où ils se trouvent sur scène, où ils parlent, où ils font passer un message. Dans cette série se trouve Anne Hidalgo. Certes, les personnes qui la connaissent bien peuvent la reconnaître, mais pour moi, le but n’était pas de montrer Anne Hidalgo.
— Vous travaillez en tant que photographe à la Mairie de Paris, tandis que vous avez longtemps vécu dans cette ville. Comment placez-vous le curseur entre le décorum de clichés touristiques et la vie au quotidien, avec ce qu’elle peut avoir de âpre ?
— C’est une question complexe. En tant que photographe, le côté carte postale n’est pas le plus intéressant. Mon but reste de montrer la ville telle qu’elle est. Cela n’exclut pas de cadrer, de choisir les angles, d’opérer une sélection parmi les photographies qui ont été prises. Pour moi, il s’agit d’un équilibre subtil entre la mise en valeur de la ville de Paris et un travail qui en donne une image authentique.
Avec l’équipe du service photo et avec le soutien de la Direction de la Communication de la Ville, nous avons créé en 2019 un espace photo grand format. Les sujets ne collent pas forcément à l’actualité politique de la Ville mais présentent plusieurs visions du Paris de tous les jours. Chaque photographe est libre de proposer des sujets qui l’inspirent et de trouver ses propres logiques de réalisation. Il s’agit de séries de 13 photographies permettant de créer une contrainte et une unité pour raconter une histoire. C’est un bel entredeux entre le travail personnel et celui à la Ville. Ma série Décors urbains est d’ailleurs née de 13. »