La métamorphose, un roman de Franz Kafka :
portrait conjuratoire
Peut-on parler de portrait, à propos de La métamorphose, court roman de Franz Kafka ? Peut-on parler d’un autoportrait de l’auteur construit à travers le personnage principal, Gregor Samsa ?
Gregor Samsa se réveille un matin transformé en cancrelat. L’histoire racontée par Kafka vire au cauchemar, plus rapidement encore que dans Le procès, Le château ou La colonie pénitentiaire : la découverte de sa nouvelle apparence, par Samsa encore couché dans son lit, ouvre le roman. De multiples pattes, désormais les siennes, s’agitent au-dessus d’un ventre brun et bombé.
La timide compassion que sa famille lui témoigne brièvement laisse place à un mélange de répugnance, d’hostilité et d’indifférence. Cruel châtiment pour un homme qui ne faisait pas de vague, fils dévoué et employé modèle.
Il y a bien sûr la tentation de considérer La métamorphose comme un autoportrait de Kafka, homme tourmenté, à la vie sentimentale calamiteuse, convaincu de son incapacité à aimer et à être aimé. Cette infirmité affective, c’est le sort qu’il réserve à Gregor Samsa.
Pourtant, je vois davantage le roman La métamorphose comme un portrait conjuratoire. Il ne s’agit pas, pour Kafka, de réaliser son autoportrait symbolique, mais de conjurer, à travers le destin tragique dans lequel il précipite Samsa, une partie de lui qu’il rejette.
Tandis que Gustave Flaubert aurait dit (il ne l’a jamais écrit, ce sont des propos rapportés) : « Mme Bovary, c’est moi. », Franz Kafka aurait pu dire : « Gregor Samsa, cela ne doit plus être moi. »