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David Gauchard : « Je sentais que le métier de modèle vivant pouvait être au milieu de contradictions assez fortes. »

David Gauchard (crédit photo : Dan Ramaen)
David Gauchard (crédit photo : Dan Ramaen)

Le métier de modèle vivant, méconnu, charrie son lot de fantasmes et de préjugés. David Gauchard est parti, avec Léonore Chaix, à la rencontre d’artistes de la pose découverte, pour créer la pièce de théâtre intitulée Nu.

— David, pour créer la pièce, Léonore Chaix et vous avez interviewé des modèles vivants professionnels. Est-ce que ces entretiens ont bouleversé la perception que vous aviez de ce métier ?

— J’aime aller vers des sujets où il y a une forte part d’inconnu. Je ne connaissais pas grand-chose au métier de modèle vivant, et j’avais fait peu de projections à son sujet. Mon intuition était celle d’un métier complexe. Par exemple, je me demandais quelle était la réaction, dans une famille, lorsque quelqu’un annonce que son métier est désormais de poser nu. Je sentais que ce métier pouvait être au milieu de contradictions assez fortes.   

Au théâtre, le nu reste une question compliquée, très tabou. Dans l’une des dernières créations de la compagnie, Le temps est la rivière où je m’en vais pêcher, le personnage joué par l’un des comédiens, Nicolas Petisoff, ramasse des feuilles dans le lac, et son labeur achevé, il se baigne. La situation aurait voulu, dans un milieu sauvage, isolé, qu’il se baigne nu. Mais, à la réflexion, je me suis dit que le mouvement de contemplation par le spectateur, entamé quinze minutes plus tôt, serait venu se heurter à la nudité.  

J’ai aussi monté la pièce Ekatérina Ivanovna, de Léonid Andréïev, où la femme d’un député de la Douma, d’abord accusée à tort d’adultère, s’enfonce dans la débauche, jusqu’à poser nue devant un parterre de peintres et de politiciens. Les deux fois où j’ai monté cette pièce, en 2001 et en 2014, la production m’a découragé de faire jouer cette scène avec une comédienne nue. La scène devait être « sale », « triste », « dérangeante » : avec Marie Thomas, la comédienne, nous avons fait un choix radical de mise en scène, sans doute plus glauque et plus étrange qu’un simple nu. Habillée d’un slip d’homme, Marie réalisait chaque soir une sorte de performance dansée sur une patinoire synthétique noire, quelque chose entre patinage artistique et danse tribale, le tout sous une pluie diluvienne. Effet garanti. 

Pour en revenir au métier de modèle vivant, il faut avoir conscience qu’un modèle vivant ne parle pas : il passe par sa loge, se déshabille, puis pose. Par ailleurs, il s’agit d’un métier solitaire. Les modèles se croisent rarement, même quand ils travaillent dans la même ville. Ils posent rarement à deux. Ces entretiens étaient, pour chaque modèle que nous avons rencontré, une occasion unique de s’exprimer à propos de son métier. C’est comme si nous ouvrions un robinet, ce qui a donné des échanges très fournis.  

Ce qui m’a le plus surpris, dans ce que nous ont dit les modèles vivants que nous avons interviewés, c’est l’épanouissement dans la pratique de leur métier. Les modèles sont tous extrêmement positifs à propos de leur métier. On voudrait trouver une aspérité, un problème, mais il n’y a pas de problème. Ils n’éprouvent aucun doute. Seules les personnes extérieures, en éprouvant un doute, peuvent y voir des problèmes.

— La mise en scène donne l’impression d’une restitution brute des propos des modèles vivants. Dans quelle mesure le travail d’écriture s’est-il réapproprié la parole ?

— En amont, nous avons travaillé avec le sociologue Arnaud Alessandrin, qui nous a donné quelques techniques pour réaliser les interviews. Le fait d’être deux, Léonore et moi, par exemple, était voulu pour désamorcer une éventuelle confrontation d’une personne face à une autre personne, un metteur en scène face à un modèle vivant…  

Nous avons également travaillé sur la notion de consentement. Il a été stipulé à chaque modèle vivant que l’entretien allait servir à l’écriture d’un projet théâtral, que des séquences pourraient être coupées. Nous avons d’abord cherché des modèles dans des centres d’art. Puis les modèles sont venus vers nous. Ils avaient entendu parler du projet et souhaitaient s’exprimer.  

Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours n’ont pas rencontré les modèles vivants. Ils n’ont pas assisté aux interviews. Je ne voulais pas que se mette en place une empathie, par rapport aux corps notamment. Je souhaitais aussi qu’ils imaginent un corps à partir d’une interview. La seule information qui leur était donnée était le prénom et l’âge. Ensuite, ils avaient à disposition l’intégralité de chaque interview, en moyenne 1h30 d’enregistrement. Ils en tiraient 20 à 25 minutes d’entretien. Puis, avec Denis Malard, le créateur son, nous avons condensé ces 25 minutes en capsules de 6/7 minutes. Le contenu de ces capsules a été choisi en fonction de la vision d’ensemble que nous avions de tous les enregistrements, afin d’éviter des redondances par exemple.  

Nous n’avons pas réécrit les propos des modèles vivants. Il n’y a pas de tricherie. C’est une restitution brute. À tel point que les acteurs n’apprennent pas par cœur le texte. il n’y a pas de texte écrit, d’ailleurs. Durant une représentation, ils entendent l’interview dans une oreillette, y compris les questions que nous avons posées. Ils répètent ensuite ce que les personnes interviewées ont répondu. il esquissent les modèles vivants de cette manière.  

Le contenu de la pièce va évoluer dans le temps, puisque nous allons inviter, dans les villes où la pièce sera jouée, des modèles à venir poser à la fin de la représentation. Des entretiens supplémentaires seront réalisés avec ces modèles, ce qui produira de nouvelles capsules. D’autres comédiens seront ainsi amenés à restituer la parole des modèles vivants. Il y aura aussi des représentations dans le cadre de nuits au musée, où davantage de capsules seront restituées, avec une distribution plus importante. 

 

— Dans la pièce, un parallèle s’établit entre le métier de modèle vivant et celui de comédien, à travers le témoignage de Maxime qui dit être, comme un comédien, au centre des regards, le témoignage de Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours au sujet de leur rapport au nu dans leur vie d’acteur, ou encore le témoignage de Charles, qui parle de la précarité. Est-ce quelque chose que vous aviez déjà en tête avant de créer la pièce ?

— Le parallèle en termes de précarité, absolument. La précarité, la fragilité, l’essentialité de nos métiers. À quoi cela sert, aujourd’hui, de mettre un corps nu devant des étudiants ? À quoi cela sert, le théâtre ? Un acteur ? L’Art ?  La précarité n’est pas seulement financière. Cela apparaît très bien dans le témoignage de Charles, l’un des modèles interviewés. Sous prétexte de pratiquer le métier que l’on aime, on serait mis à l’écart de la société.  

Il y a une pénibilité du métier de modèle vivant qui peut-être n’apparaît pas assez dans le spectacle. Une partie immergée, comme c’est le cas pour l’acteur, à propos duquel on retient uniquement le côté agréable de son métier, sans considérer tout le travail effectué en amont, outre le téléphone qui peut s’arrêter de sonner.   

Néanmoins, en discutant avec Emmanuelle et Alexandre, des nuances sont apparues. Un acteur est un interprète. Sur scène, ce n’est pas lui, en tant que personne, que nous voyons, mais son interprétation, qui passe par son corps.  

Nu, idée originale et mise en scène David Gauchard 

Avec Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours

Collaboratrice artistique Léonore Chaix 

Docteur en sociologie Arnaud Alessandrin 

Création son / Régie générale Denis Malard 

Création lumière Jérémie Cusenier 

Scénographie Fabien Teigné 

Réalisation décor Ateliers de l’Opéra de Limoges 

Visuel Virginie Pola Garnier & David Moreau

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