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Chitro Shahabuddin : « La peinture est indispensable à mon équilibre. »

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Chitro Shahabuddin (crédit photo : Jules Dorival)

Avocate au barreau de Paris, artiste peintre, Chitro Shahabuddin met l’art au service de l’action humanitaire grâce à l’association Terra Solidari. Chitro évoque son engagement, ses racines familiales et artistiques, ainsi que l’importance qu’a gagnée la peinture dans sa vie.

« Chitro, comment s’articule votre engagement dans l’association Terra Solidari avec votre vie professionnelle, partagée entre votre métier d’avocate et votre carrière de peintre ?

— L’association Terra Solidari a été créée il y a une dizaine d’années. C’était pendant mes études de Droit. Je l’ai créée avec des amis étudiants. J’avais la volonté d’agir dans l’humanitaire. Je suis d’origine bengali et il y a beaucoup de choses à faire dans l’humanitaire là-bas. Toutefois, le but n’était pas de consacrer l’ensemble de l’action au Bangladesh. Nous souhaitions également agir en France, où les situations d’extrême pauvreté ne sont pas rares. 

 C’était important, pour moi, de lier l’art, notamment la peinture, à l’humanitaire. L’idée, c’était de sublimer une réalité parfois terrible grâce à l’art. Utiliser l’art pour réunir des personnes autour d’une cause commune. Nous avons organisé des expositions dont les recettes ont été reversées à des ONG. L’association a également apporté son aide à des artistes indépendants qui s’intéressent à la condition des femmes sculptrices au Bangladesh, en Inde et aussi en France. Dans le but de donner une visibilité à des femmes artistes qui ont été oubliées par l’Histoire. Je tiens particulièrement à ce que notre association humanitaire soit aussi un vecteur de transmission culturelle. 

 L’une des premières missions que nous avons choisies consistait à financer des opérations chirurgicales pour des femmes et des enfants qui avaient été victimes de jets de vitriol, d’acide sulfurique, au Bangladesh.

 Ensuite, nous sommes venus en aide aux travailleurs du textile, suite à l’effondrement du Rana Plaza, en 2013 à Dhaka. Nous avons réalisé le plaidoyer, en Europe, pour l’indemnisation des victimes de cet effondrement. Y compris en France, puisque de grandes marques françaises étaient impliquées. 

 Nous avons élargi notre champ d’action, en plus de l’humanitaire, en travaillant sur des questions plus théoriques de Droit français, liées à la démocratie. Par exemple, le droit à l’information des citoyens. 

 Tout ceci n’a fait que conforter ma vocation d’avocate. Je considère qu’être avocate, c’est s’engager dans un combat contre l’inégalité sociale, et plus largement un combat pour la démocratie.

— De quelle manière ces convictions se sont-elles formées en vous ?

— Cela est très lié à l’éducation que j’ai eue dans ma famille. Notre histoire familiale est très ancrée dans le combat pour les Droits de l’homme. Mon père s’est battu pour l’indépendance du Bangladesh. Depuis toutes petites, ma sœur et moi avons entendu les récits de guerre de mon père. Des récits où transparaît sa soif de liberté. 

 En classe de terminale, je me suis demandée si j’allais m’inscrire aux Beaux-Arts de Paris ou commencer des études de Droit. 

 Je me suis dit que j’aurais toujours l’occasion de peindre, puisque je peignais depuis longtemps déjà, alors que j’avais tout à apprendre en Droit. J’ai donc choisi les études de droit. Dès ce moment, je suis partie chaque été au Bangladesh pour travailler dans des ONG humanitaires, bénévolement. Cela a été très formateur.

— En peinture, vous avez mis de côté le style alpana que vous avez pratiqué pendant 15 ans. Pour quelles raisons avez-vous souhaité faire évoluer votre style ?

— J’ai commencé à peindre très jeune, dans le style alpana, un style très imagé, proche de la culture indienne.

 C’est en préparant les maquettes de mon livre, qui mêle poésie et peinture, en illustrant les poèmes, que je me suis rendu compte que j’avais besoin de peindre des personnages et de raconter autre chose qu’avec le style alpana. Avec davantage d’humour, de couleur. Même si mes nouvelles peintures ne sont plus dans le style alpana, j’ai gardé des motifs de l’alpana qui viennent s’intégrer dans mes peintures. 

 Le livre réunit des poèmes que nous apprenons tôt à l’école, en France, comme ceux de Jacques Prévert, des poésies traditionnelles comme celles de Rabindranath Tagore,  ainsi que des poésies folkloriques. J’ai choisi ces poèmes par affection pour eux, mais aussi pour faire passer un message aux enfants, un message universel, sur la beauté du monde et de la poésie.

— Votre père est un peintre à la notoriété internationale. En tant que peintre, de quelle manière vous êtes-vous émancipée de cette notoriété ?

— Je suis extrêmement fière de mon père, qui a réussi à porter son message d’artiste. Il est important de dire, et c’est tout à son honneur, qu’il ne s’est jamais interposé dans mes choix artistiques. 

Si mon choix s’est porté sur la peinture, c’est parce que j’ai grandi, comme ma sœur, dans l’atelier de mon père, qui se trouve au domicile familial. Quand je sens l’odeur de la peinture, de la térébenthine, je me dis que je suis chez moi. J’ai toujours vu mon père peindre. 

Depuis toute petite, j’ai côtoyé les artistes venant à la maison. C’était quelque chose de naturel que de tenir un pinceau pour peindre. Ma première exposition, à proprement parler, a eu lieu en 2012. Ma première exposition en galerie a eu lieu en 2013. Mon père n’était même pas au courant de leur organisation. Je tiens à développer ma carrière de peintre par mes propres moyens, à partir de mon propre réseau. D’une part, parce que je considère que l’on n’a aucun mérite de réussir en étant la fille de quelqu’un. D’autre part, sa peinture a une toute autre maturité que la mienne, et un tout autre style. 

Je suis ma propre voie. La peinture est devenue une question vitale, indispensable à mon équilibre. Dès que je termine un dossier, je me mets à peindre. 

Quand mon père a su que ma première exposition allait avoir lieu, il a été très fier. L’indépendance que je tiens à conserver par rapport à lui est le meilleur moyen de préserver la qualité de notre relation père-fille. D’ailleurs, toutes mes œuvres sont uniquement signées avec mon prénom, Chitro. 

Lorsqu’il est question de peinture, nous avons une relation d’artiste à artiste, avec des expériences et des sensibilités différentes. Je n’hésite jamais à lui demander son avis à propos de mes créations. Pour autant, je ne tiens pas compte de toutes ses remarques, je garde ce que je veux bien garder. Même s’il y a toujours une certaine pudeur chez lui, je pense qu’il me considère comme une artiste à part entière. »

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