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Alexandre Prévert : « La poésie aura le dernier mot. »

Alexandre Prévert (crédit photo : Coralie Forner)

Son nom, Prévert, évoque immédiatement la poésie. Petit-fils d’un cousin éloigné du grand Jacques, Alexandre Prévert mêle musique, poésie et sujets actuels dans ses spectacles. Pourtant, son chemin n’était pas tout tracé.

« Au début de votre spectacle Où sont passés vos rêves ?, vous dites : « On vit dans un monde qui nous empêche de rêver. » Qu’entendez-vous par là ?

— L’éducation que l’on reçoit, à la fois de sa famille et du système éducatif, amène davantage à se contraindre qu’à se développer, à nous ranger plutôt qu’à nous déranger. Dans cette société, pour plusieurs raisons, quand on entreprend des choses qui ont un rapport avec le rêve, la projection, l’anticipation, l’ambition, le voyage, on rencontre beaucoup d’obstacles. C’est un constat qui est omniprésent quand je discute avec d’autres personnes, de toutes les générations.  

Je pense que c’est un trait humain que d’utiliser notre intelligence et notre conscience pour avoir peur, au lieu de renforcer notre liberté. Il est extrêmement difficile de réaliser un rêve tout seul, sans avoir d’aide à l’intérieur du cercle familial ou du système éducatif. Mon métier, je l’attribue en partie à la chance, celle d’avoir été mis dans une bonne situation, une éducation pas trop déséquilibrée, peut-être certains héritages familiaux. Je m’attribue très peu de mérite dans les modestes réalisations accomplies jusqu’ici.

— Vous évoquez le fait d’être “bien né”, mais vous vous décrivez aussi comme « un jeune homme de 24 ans qui en a pris plein la gueule et qui a réfléchi pour se sortir de tout ça. » Quels sont les obstacles auxquels vous avez dû faire face, et comment cette réflexion a-t-elle été menée ? 

— Je dis que je suis bien né et que je bénéficie d’un certain héritage familial parce que considère ne pas partir de zéro : par les métiers que mes parents et mes grands-parents avaient, dans le système éducatif, la recherche, dans l’entrepreneuriat, par leur manière de mener leurs vies, il y a eu tout un travail qui a été mené avant moi, et qui m’a placé dans un certain état d’esprit, un mélange de réflexion et de pragmatisme.  

Je n’avais pas la caractéristique d’être protégé du réel, avec ce qu’il peut comporter de laideur. J’ai même développé très tôt une curiosité quant à la façon dont le monde fonctionne. Vers 13 ans, j’ai découvert sur internet toutes les violences qui pouvaient être infligées à des enfants, par exemple. Cette confrontation à l’horreur a été la source d’une réflexion : je voulais comprendre pourquoi cela existait. Ce que j’ai vécu par la suite au Conservatoire, pendant plusieurs années, le mensonge, la manipulation, parce que j’avais ma propre vision de la pratique musicale, a été aussi une confrontation à une forme de violence.  

À partir de 14 ans, j’ai eu l’impression de mener une double vie. Il y avait la vie extérieure à laquelle je consentais pour faire plaisir à mon entourage, et la vie où je cultivais ma propre curiosité envers le monde. Le mythe de Sisyphe, de Camus, que j’avais lu à cet âge-là, est réapparu dans la réflexion que j’ai menée après ma sortie du Conservatoire. J’ai créé mon premier spectacle et j’ai enfin opéré la jonction entre ma vie de façade et ma vie intérieure, qui contient les choses auxquelles je crois vraiment.

— Quelle place occupe la poésie dans le monde contemporain ? La prédominance des contenus techniques et technologiques est-elle une menace pour elle ?

— Ce n’est pas quelque chose que je crains. La poésie est, par chance, et même par nature, inaltérable. Notre ego et notre prétention ne nous permettent pas de mettre à distance ce que le monde comporte comme poésie et ainsi de le détruire.    

Par miracle, la poésie nous survivra. La nature subsistera avec elle alors que nous nous éteindrons. La poésie aura le dernier mot. Et pas nous.    

Bien sûr, dans notre vie de tous les jours, il y a une prédominance de la technologie. C’est une direction qui a été prise. Il ne faut pas avoir un rejet, au sens du déni, de ce qui fait le monde aujourd’hui. Les progrès technologiques ont des impacts positifs, mais cette prédominance a également des implications.   

Qu’est-ce que cela ajoute à notre bonheur ? À notre liberté, à notre épanouissement ? La part du beau, du vrai, du bien, une définition que je pourrais accoler à la poésie, est en déclin aujourd’hui. Les vrais artistes de notre temps, j’en vois extrêmement peu. Qui sont les vrais penseurs aujourd’hui ? J’aurais très peur d’entendre les réponses des gens à ce sujet. Qui sont les philosophes de notre temps ?    

Mais, comme je le disais, je pense que la poésie est inaltérable. En outre, il m’appartient d’être une exception parmi d’autres, de mener une vie respectueuse de la nature, de la beauté, de la poésie. Cela suffira à me rendre heureux. Certes, c’est abandonner le combat collectif, l’idéal du bonheur commun, mais au moins j’aurai sauvé ma pomme, et je pourrai mourir en paix. Au pire, sur mon lit de mort, je réciterai des vers. »

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